Il est de ceux qui regardent l’échiquier politique comme un buffet : tout l’indispose, mais il veut goûter un peu de tout. Il se dit "ni de gauche, ni de droite", et finit souvent par voter pour le pouvoir en place, pourvu qu’il parle doucement et qu’il porte une cravate. Il fuit les cris des tribuns, les pancartes des lycéens et les indignations trop vives : il préfère les éditoriaux tièdes et les débats où chacun coupe poliment la parole à l’autre. Il redoute les extrêmes, mais ne dit jamais lesquels ; il accuse la rue d’exagération, tout en s’agaçant que les choses ne changent pas plus vite. Il croit que "la France est divisée", comme si elle s’était un jour fondue en un seul homme, raisonnable, bien peigné, amateur de compromis — bref, en lui-même. Il se passionne pour le consensus, cette utopie où tout le monde serait d’accord sans avoir rien dit. Il veut du social sans l’impôt, de l’ordre sans la matraque, de l’écologie sans contrainte, et une République ferme mais bienveillante, comme un père de pub télé. Il parle de méritocratie en citant des exceptions, et de justice en demandant des délais. Quand le pays gronde, il soupire ; quand il se tait, il s’ennuie. Il déplore l’abstention mais hésite jusqu’au dernier jour. Il lit les sondages pour se rassurer, et vote utile pour ne pas avoir à choisir. Il finit souvent par voter contre, rarement pour, et toujours avec l’air satisfait de celui qui aurait pu faire mieux, s’il avait eu le temps. ma lucidité m'effraie parfois
|